Étrangeté des formes dans La visite de la vieille dame de Dürrenmatt
Résumé
Dans cette pièce, on peut discerner à la source du burlesque cette " inquiétante étrangeté " que Freud avait déjà observée dans certains contes fantastiques romantiques. Dürrenmatt cultive l'étrangeté à plusieurs niveaux. Utilisant la stylisation et l'antithèse, il modifie l'espace scénique devant le spectateur, utilise des comédiens pour représenter des arbres, désigne les personnages par des numéros. Il fait de sa vieille dame une créature monstrueuse et mythique, mi-humaine, mi-mécanique avec ses nombreuses prothèses, figure insensible, obsédée par sa vengeance, comparée à Clotho et à Médée, collectionneuse de maris, et aspirant à posséder définitivement le grand amour de sa vie, Ill, en l'enfermant dans un cercueil. Claire fait figure de personnage satanique qui achète aux habitants leur âme pour les précipiter dans l'enfer du matérialisme. Ainsi, l'intrigue elle-même prend, par son caractère macabre, un tour extravagant. Le style également est marqué par l'étrangeté. Se caractérisant par des formules percutantes et paradoxales qui font mouche, il mêle trivialité, parodie et tragique. L'étrangeté de la pièce réside dans son caractère hybride, dans la vision noire de l'humanité, qui se cache sous le rire. Par la juxtaposition du comique et du tragique, par l'exploitation grotesque du morbide, Dürrenmatt crée un drame baroque, extravagant, et pourtant tristement humain. Jl brouille sans cesse le message, afin d'inquiéter son public qui ne sait s'il doit rire ou pleurer.