Jean-Jacques Rousseau-Marianne Alissan de la Tour, ou le Pygmalion renversé
Résumé
La correspondance entre Rousseau et son admiratrice Marianne Alissan de la Tour, échangée entre 1761 et 1776, se caractérise (de la part de Marianne) par l'abondance de figures empruntées au siècle précédent, mais aussi par de nombreux emprunts à La Nouvelle Héloïse, au regard d'un usage en cours de codification depuis quelques décennies seulement. Mme de la Tour, correspondante modèle, " bonne élève " et lectrice assidue de Rousseau, offre l'exemple de ces dames obscures qui contribuèrent à fixer la forme des échanges épistolaires en s'inspirant de la littérature, illustrant la théorie d'Habermas qui veut qu'au milieu du XVIIIe siècle les sphères du public et du privé se fécondent mutuellement. Nous montrons ici comment, de façon surprenante et créative, cette femme inconnue des milieux littéraires a développé un langage mondain, aisé et sensible, ayant pu servir de passeur à la pensée du philosophe - en dépit de Rousseau lui-même - vers ce monde particulier qu'on appelle la bourgeoisie éclairée. Nous étudions selon quel processus poétique s'est constitué cette correspondance, puis les mobiles de Mme de la Tour - muse ou écrivain - qui la firent se jeter ainsi dans les bras épistolaires de l'exilé genevois.