Volland, Sophie (v. 1716-1784) - Université de Limoges Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2015

Volland, Sophie (v. 1716-1784)

Odile Richard-Pauchet

Résumé

Sophie Volland, de son vrai nom Louise-Henriette Volland, fut la maîtresse du philosophe Denis Diderot et son amie de coeur pendant près de trente ans. De cette figure restée discrète à l'extrême, on ne possède d'autre trace physique que la numérotation qu'elle apposait aux lettres reçues de Diderot, et le testament dans lequel elle lui lègue de façon si émouvante, peu avant son décès le 22 février 1784, « sept petits volumes des Essais de Montaigne, reliés en maroquin rouge, plus une bague que j'appelle ma pauline »-quelques mois avant la mort du philosophe lui-même en juillet. Ni femme de lettres, ni artiste, Sophie s'affirme néanmoins comme actrice des Lumières à travers cette présence vibrante, intellectuelle et sensible, qu'elle assurera auprès du philosophe jusqu'à sa propre disparition. Les lettres de Sophie sont perdues sans remède, détruites sans doute par elle-même lors d'une probable restitution : sa personnalité, ses idées, son caractère, sa culture, sa vie en somme ne nous sont connues que par les lettres à Sophie que Diderot lui écrivit de 1756, date supposée de leur rencontre, à 1774, lors de son retour de Russie. Cette correspondance quasi bi-hebdomadaire, ainsi réglée car née d'un pacte entre les amants, engendrée surtout par le déplacement presque six mois par an de Sophie à la campagne, dans le domaine familial d'Isle sur Marne (Marne), a connu toutefois de grandes éclipses : bien sûr la présence de Sophie à Paris durant la mauvaise saison, mais aussi les brouilles, les jalousies, les pertes et les destructions. Ainsi n'a-ton pas retrouvé les premières lettres de Diderot, écrites de 1756 à 1759. Sophie fut peut-être l'égérie, la muse du philosophe. Elle fut surtout un soutien, un regard aimant, fédérateur, tantôt maternel et tantôt malicieux, tantôt railleur et tantôt pudique, celui qui porta l'un des premiers le jugement de l'opinion sur l'oeuvre et l'attitude d'un écrivain soucieux de tenir son rang dans le combat philosophique. C'est ce travail de l'ombre qui importe. Sophie, du propre aveu de son compagnon de plume, a sculpté en creux, de son regard d'amante et de lectrice, l'oeuvre de Diderot, et surtout l'oeuvre morale : « Combien je redouterais le vice, quand je n'aurais pour juge que ma Sophie ! J'ai élevé dans son coeur une statue que je ne voudrais jamais briser. Quelle douleur pour elle si je me rendais coupable d'une action qui m'avilît à ses yeux ! » (lettre du 25 mai 1759). Cette place vertueuse érigée dans le coeur du philosophe valut à la demoiselle son surnom de Sophie, la sagesse. Sophie est issue d'une famille très bourgeoise, originaire de la paroisse Saint-Eustache, installée dans le quartier du Palais-Royal depuis quinze ans quand Diderot la rencontre. D'un grand-père directeur général des gabelles, et d'un père, Jean-Robert, écuyer, seigneur d'Isle, et directeur général des Fermes du Roi, elle vit dans l'aisance auprès de sa mère, Françoise-Elisabeth, née Brunel de la Carlière (v. 1690-1772). Dans l'aisance mais non dans l'aise : seule fille restée célibataire, d'une famille comptant deux soeurs mariées bourgeoisement et un frère décédé vers 1750, elle semble vouée à tenir compagnie à sa mère restée veuve, de surcroît personnage assez autoritaire : bref, un « pauvre petit satellite condamné à suivre la marche d'une planète principale, et à tourner autour de cette planète » (2 mars 1766). La relation passionnée des amants quadragénaires s'organise donc autour de deux pôles semi-clandestins. D'une part une vie mondaine furtive, faite de rencontres au jardin du Palais-Royal (sur le banc d'Argenson), de visites sous contrôle et de plaisirs intellectuels partagés, comme le théâtre ou le concert, sans s'asseoir côte à côte. D'autre part une vie sensuelle discrète, autorisée par la complicité de la femme de chambre de Sophie, et surtout par la liberté de l'écriture. Bientôt, cette liberté-là sera la seule. Ces deux pôles sont aussi les deux « univers » géographiques et sociaux qui rapprochent Diderot et Sophie : le milieu d'affaires du Palais-Royal qui gravite autour du duc d'Orléans, réseau que Diderot ne manque pas d'activer pour venir en aide à ses proches et à ceux de Sophie. Puis le monde sensuel de la campagne, celle de l'est de la France où Sophie séjourne la moitié de l'année, en disciple zélée d'une mère propriétaire. Diderot, champenois aux façons marquées par la bourgeoisie paysanne, se plaît à évoquer la Marne « sa compatriote », qui baigne le pied de la propriété des Volland près de Vitry-le-François, et lui sert de lien charnel avec Sophie. Mais ces centres d'intérêt ne sont pas les plus importants. Ce qui unit essentiellement les amants, c'est la vie de l'esprit, le plaisir de la conversation, le débat d'idées. Car cette demoiselle, du fond de sa prison dorée, est un esprit libre : et ne faut-il pas l'être, démesurément, pour soutenir les assauts d'une correspondance avec l'audacieux Diderot ? Si l'écrivain invoque très tôt le modèle héloïsien pour définir la relation de maître à disciple qui les unit, c'est pour donner bientôt à Sophie un rôle plus égalitaire au sein de leurs joutes intellectuelles, favorisé par une certaine androgynie physique et
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Volland Sophie, Dict des Lumieres.pdf (132.22 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-02490128 , version 1 (24-02-2020)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02490128 , version 1

Citer

Odile Richard-Pauchet. Volland, Sophie (v. 1716-1784). Valérie André et Huguette Krief (dir.), Dictionnaire des Femmes des Lumières, Paris, Champion, 2015, coll. " Dictionnaires et références", n°25, t.2, p.1214-1216., 2015. ⟨hal-02490128⟩

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