Le signe qu'on perçoit ? - Université de Limoges Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2020

Le signe qu'on perçoit ?

Mireille Mérigonde

Résumé

Cette réflexion s'inscrit dans le cadre d'une recherche en écosémiotique et tend à déterminer l'importance de la relation entre signe et perception. La question initiale est née à la lecture de Milieu animal et milieu humain de J. Von Uexküll ou, plus précisément, de sa traduction en français qui repose sur une terminologie issue de la sémiotique narrative actantielle et emploie les expressions « signe perceptif » et « signe actantiel » pour décrire les interactions entre l'animal et son milieu, tout particulièrement les réactions de l'animal lorsqu'il perçoit certaines données dans l'environnement et qu'il agit en conséquence. Dans la théorie structuraliste, un signe prend d'abord sa valeur dans un système de paradigmes et le signe est ce qu'on substitue à une autre chose pour en tenir lieu; les théories pragmatiques précisent qu'un tel signe n'est signe que parce qu'on l'interprète. Comment ce signe perceptif peut-il prendre sa valeur de signe ? Dans quel système ? Quelle forme de communication permet-il d'instaurer ? Uexküll distingue en outre « signal perceptif », « interne à l'organisme » et signe perceptif, « de degré supérieur » et qui « dépend du signal ». Ce signal perceptif ne serait-il pas un stimulus ? Grâce à l'érudition de S. Auroux et d' U. Eco, nous avons pu constater qu'en philosophie ou dans les théories du langage, la signification a toujours été mise en relation avec la perception, chez Aristote, Platon, Saint Augustin, Condillac... Plus proches de nous, Peirce, Uexküll et Merleau-Ponty considèrent que le percept est une forme de signe. Pour Hjelmslev, c'est un « embryon de langage », de l'ordre de « l'amibe ou de l'infusoire ». La sémiotique du monde naturel de Greimas a d'abord intégré le langage non-verbal des gestes puis la médiation du corps percevant-sentant. Mais comment la perception peut-elle faire signe ? Hjelmslev a expliqué que les cultures opèrent un découpage particulier du sensible. J-F. Bordron (2000) montre que toute perception est sémiotisée et qu'elle procède par catégorisation. Edeline et Klinkenberg (2011) affirment que « percevoir, c'est sémiotiser ». Toute perception est filtrante et orientée. Selon eux, le signe n'est d'ailleurs « pas indispensable à la définition du sens ». Reprenant la terminologie peircienne, ils conçoivent des « sémioses courtes » de la perception indicielle et « des sémioses de plus en plus longues » de l'icône jusqu'à la fonction de renvoi du symbole. Ne peut-on alors envisager des « signes imparfaits », la perception étant elle-même soumise aux aptitudes perceptives et à toutes sortes d'aléas ? U. Eco a posé un problème de fond: y-at -il communication sans code ? Pour certains, on communique aussi en dehors du symbolique par la perception (Ouellet, 2000) ou les émotions (Pereira, 2018). Dans la perspective écosémiotique qui est la nôtre, nous pouvons toutefois nous demander si le concept de communication reste pertinent pour caractériser les pratiques signifiantes animales décrites par Uexküll ou les systèmes biochimiques du monde végétal. J. Fontanille craint un anthropomorphisme peu sérieux. Mais selon B. Canque et D. Bertrand, la langue fonctionnerait comme un système vivant. Merleau-ponty rapprochait lui aussi, d'une part, le code et l'automate et, d'autre part, la langue et la vie. Pour J-F Bordron (2000), l'intentionnalité est un point commun entre le langage et la perception. En 2011, B. Canque et D. Bertrand font l'hypothèse que « la langue est un système biologique naturel » et relèvent « des niveaux d'homologie » entre « phénomènes biologiques et processus discursifs ». En 2017, ils observent que « dès le niveau cellulaire » opèrent une forme de « cognition » et une « énonciation ». L'exemple donné est celui d' « une cellule qui peut s'adapter et réagir en fonction de son environnement ». La similitude est clairement établie à travers les émissions de signaux: les signaux sonores du langage (qui manifestent leur « nature physique »), comme les signaux chimiques des cellules, participent tous deux à des sémioses. N. Pignier, quant à elle, repère dans l'ordre végétal des interactions signifiantes synesthésiques et modalisées qui ne relèvent pas du symbolique mais constituent des formes de co-énonciation. De tout ceci, il découle une conception mésologique du signe qui rend caduque la définition par l'arbitraire: effets de signe et effets de sens sont ancrés dans un milieu (cadre spatio-temporel mouvant et relatif des co-énonciations). La diversité des langues et la multiplicité des systèmes de communication sont également dépendantes des relations aux milieux. Au terme de cette réflexion, nous aurons donc montré que la perception est porteuse de signification même si elle ne délivre pas toujours des signes au sens structuraliste du terme, que des expressions non symboliques peuvent être appréhendées à un niveau co-énonciatif et que pour se placer à l'interface des sciences du vivant, la sémiotique doit tenir compte de l'ancrage de tout effet de signe dans un milieu.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04008896 , version 1 (28-02-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04008896 , version 1

Citer

Mireille Mérigonde. Le signe qu'on perçoit ?. Journées thématiques de l'école doctorale SLPCE, Perceptions, Ecole doctorale SLPC Université de Limoges, Sep 2020, Limoges (France), France. ⟨hal-04008896⟩
16 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More