" Etrangeté des formes dans La visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt "
Résumé
Il est bien connu que la pièce de Dürrenmatt est placée sous le signe de la dérision. Or, on peut discerner à la source du burlesque cette " inquiétante étrangeté " que Freud avait déjà observée dans certains contes fantastiques romantiques. Dürrenmatt cultive l'étrangeté à plusieurs niveaux, d'abord dans la mise en scène. Faisant grand usage des didascalies, il campe une petite ville, Güllen, marquée par une pauvreté et une déchéance inouïes, univers insolite et imaginaire, monde à mi-chemin entre l'enfer et un quotidien tristement banal. Utilisant la stylisation et l'antithèse, il modifie l'espace scénique devant le spectateur, utilise des comédiens pour représenter des arbres, désigne les maris de l'héroïne par des numéros... Les personnages aussi frappent par leur bizarrerie, en particulier La vieille dame, Claire Zachanassian, créature monstrueuse et mythique, mi-humaine, mi-mécanique avec ses nombreuses prothèses, figure insensible, obsédée par sa vengeance, comparée à Clotho et à Médée, collectionneuse de maris, et aspirant à posséder définitivement le grand amour de sa vie, Ill, en l'enfermant dans un cercueil qui la suit en permanence. Ainsi, l'intrigue elle-même prend par son caractère macabre un tour extravagant. Le style également est marqué par l'étrangeté. Se caractérisant par des formules percutantes et paradoxales qui font mouche, il mêle trivialité, parodie et tragique.